Apprentissage post Covid : 2 occasions en or de sortir l’école du XIXe siècle

Jean Baptiste Ballif
7 min readJul 7, 2020

La grippe vient bousculer la routine et les schémas établis en faisant voler en éclat le monopole de la salle de classe, tout à fait adapté à la société paysanne, sédentaire et peu informée du XIXe, et donc tout aussi inadapté à une société urbaine, hyper-informée, mais manquant d’attention à l’essentiel.

La sortie du confinement, qui a rendu “citoyen” ce qui était déviant et obligatoire ce qui relevait de l’expérimental, est maintenant l’occasion de réfléchir à une remise à plat du système. Car cette crise a permis de dissocier Ecole et Education, deux termes jusque là pensés indissolublement.

1- Pour les maîtres : la classe virtuelle ?

Le confinement, en vidant les salles de classe, à permis de démontrer qu’un autre modèle d’enseignement est techniquement possible. Un enseignement qui ne se réduirait pas à rassembler des enfants dans une pièce pour écouter pendant une petite heure un enseignant (on ne parle plus de maître ou de professeur). Placer un adulte, à heure fixe, face à un groupe d’élève pour leur “faire la classe” ne fait de lui qu’un répétiteur. Car tous n’ont pas le génie, ni même parfois l’ambition d’enflammer les esprits.

“L’imagination au pouvoir” réclamaient les manifestants de mai 1968, tout en rêvant de Mao, dans un grand élan de naïveté politique. Cinquante ans plus tard, on aimerait effectivement plus d’imagination et moins de pouvoir. Par exemple l’imagination de produire en central tous les contenus théoriques, à diffuser gratuitement et massivement sous forme de tutoriels video, et libérer ainsi les enseignants de ce rôle de répétiteur, pour en faire des maîtres socratiques. En face de peu d’élève, idéalement moins de six, ils auraient la mission de les faire accoucher de leur propre transformation, en les questionnant sur leur apprentissage.

Comme le constate Olivier Roland dans Tout le monde n’a pas eu la chance de rater ses études. on a aujourd’hui accès aux meilleurs cours des meilleures universités, gratuitement. Comment croire que le ministère serait incapable de donner accès aux meilleurs cours des meilleurs professeurs de la République, diffusés massivement et gratuitement partout sur le territoire, libérant ainsi une majorité de professeur de leur rôle de répétiteur, pour qu’ils se consacrent à expliquer, faire répéter, répondre aux questions de leurs élèves, garantissant ainsi une éducation adaptée à leur besoin et suscitant intérêt et motivation.

On objectera que les enfants n’auront pas la discipline de suivre les enseignements préalables, ou que les maîtres n’auront pas la disponibilité ni la patience requise. C’est à la fois insulter la soif d’apprendre des enfants et la compétence des enseignants, sauf à reconnaître qu’on n’a pas recruté les bons maîtres.

L’école à distance ne se réduit donc pas à faire la même classe dans un outil numérique, fût ce zoom. La pensée précède toujours l’outil qui doit lui être asservi. Organiser une classe virtuelle ne se limite pas au choix d’un logiciel de formation à distance. L’éducation, contrairement à ce que pensent certains, n’est pas seulement un problème de moyens. Au delà des choix d’outils et de moyens, on aimerait aussi bien connaître quelle est la méthode d’apprentissage qui guide nos improvisés vidéastes.

Du reste, de moyens, l’école de la République n’en a jamais eu autant et il serait temps de reconnaître le coût scandaleux de notre “système éducatif”. Et je ne parle pas là seulement de l’argent du contribuable, mais de vies gâchées. Celles des professeurs qui se sentent parfois déconsidérés, si souvent livrés à eux mêmes qu’ils finissent par désespérer de leur ministère; celles des enfants qu’on a dégoûté du savoir, car ils l’associent à une école qui ne fait plus rêver leur imagination. Quant à l’argent du contribuable, on peut se demander s’il est raisonnablement employé à acheter des manuels qui restent souvent inutilisés par les enseignants, ou à concocter sans cesse des programmes nouveaux, dont le principal mérite et de créer un marché captif aux éditeurs de manuels.

Ce marché étant captif, on évite justement de se demander s’il est vraiment nécessaire. Il me semble pourtant que les fondamentaux de la grammaire, du calcul, de l’histoire et de la littérature restent suffisamment stables pour qu’on évite de tomber dans le travers de la grande consommation, qui propose à notre curiosité des produits sans cesse plus “nouveaux”. Le succès des ventes du Bescherelle, ou de la méthode Boscher pour le primaire, les secondes vies des Bled, Lagarde et Michard, Chassang et Senninger ou Malet et Isaac témoignent au contraire de la solidité de ces manuels. On peut même regretter que l’excellent dictionnaire des civilisations de Braudel, conçu pour le programme de Terminale dans les années 60, n’a finalement jamais été adopté par le ministère. Bref, on dispose de toute la matière pour construire une base solide en humanités, pour un coût très réduit. Au contraire, les nouveaux manuels sont chers, et la pauvreté de leur contenu les fait de plus en plus ressembler à des cahiers de devoirs de vacances.

Pendant qu’on assure des revenus aux éditeurs de manuels, et aussi aux fabricants de machines à calculer, des milliers de postes dans l’industrie ou l’artisanat ne sont pas occupés, par manque de candidats. Pourtant, une majorité d’emplois marchands ne réclame pas de qualification formelle. L’accent mis aujourd’ hui sur les compétences transversales reflète d’ailleurs le constat suivant: avec l’accélération de la technique, le savoir devient plus vite obsolète. Comme le disait Gary Hamel en 2012 : on devient bête plus vite. Or l’ignorance a un coût, social et économique.

L’humanité apprend en faisant, cette pratique intuitive est confirmée par les récentes découvertes en sciences cognitives. Depuis la tribu de chasseurs cueilleurs, jusqu’ aux tribus d’entrepreneurs en passant par les tailleurs de pierre des chantiers des cathédrales et les compagnons du Tour de France: rien de nouveau sous le soleil. Apprendre en faisant rend caduque le système diplômant mis en place au XIXe siècle. Malheureusement il est devenu dans les années 80 “le” projet politique de l’école : les ” 80% d’une classe d’âge au bac”.

On se retrouve ainsi avec une gigantesque administration qui tourne finalement à vide, très pointue dans la préparation d’examens et de diplômes devenus assez inutiles aux métiers dont on a vraiment besoin pour soigner les handicapés, réconforter les vieillards, réparer les machines à laver, cultiver les légumes, ou analyser les données. L’arbre des écoles prestigieuses (vous connaissez leurs noms) cache la forêt d’un niveau médiocre pour une part importante de laissés pour compte. La promesse du fronton des écoles “Liberté Egalité Fraternité”, tenue jusqu’ en 1970 est de plus en plus incantatoire. La révolte des cités s’explique. Mais il ne semble pas qu’elle soit bien comprise, en tout cas en tant que révélateur de l’échec de notre système scolaire, si vanté par ailleurs.

“La France est actuellement confrontée à trois problèmes majeurs concernant les jeunes : le nombre de jeunes au chômage augmente depuis plus de 30 ans, la France fait partie des pays dont le nombre de jeunes déscolarisés, qui ne sont ni en emploi, ni en formation est le plus élevé. Les jeunes sont également plus pauvres que le reste de la population française.” Laurie GRZESIAK, Futuribles 2013

L’échec scolaire n’est pas seulement celui des élèves, c’est donc au moins autant celui d’un système administratif d’état devenu inégalitaire et idéologique. Par manque d’imagination, l’administration finit par se tromper de cible. L’excès d’imagination idéologique des ministres veut parfois suppléer le manque d’imagination pédagogique des ministères. On se souvient d’une ministre qui déclarait que la mission de l’école était de lutter contre les préjugés sexistes. Bien sûr! mais si possible avec l’orthographe et le calcul, et puis quelques bases de culture humanistes pour tous. Lénine, qui s’y connaissait en idéologie, disait déjà lui même en 1919, le communisme, c’est les soviets et l’électricité. De la même manière, l’éducation, c’est donc le respect de l’autre et l’orthographe.

La route vers l’enfer est pavée de bonnes intentions. Ainsi , et en caricaturant à peine, on pourrait presque dire que l’école n’est plus un lieu d’éveil au monde, mais un instrument politique qui fabrique des chômeurs. Elle détourne aussi l’argent du contribuable de sa cible réelle, qui est d’assurer ce que les économistes appellent des “externalités positives”: la sécurité individuelle, le développement des compétences et des infrastructures nécessaires au bien commun, la confiance dans la justice et la police. Bref, la paix sociale, grâce à l’assurance que chacun a droit à sa place au soleil.

Bien sûr, c’est une généralisation qui insulte le travail de nombreux maîtres et maîtresses, pleins de courage et d’imagination et dont la plus grande récompense est le sourire des élèves qui ont enfin compris. Loin de moi l’idée de discréditer la profession qui fait preuve de beaucoup de ressources et d’un grand courage. C’est une tradition française que l’héroïsme de la troupe tente avec bravoure de sauver le fiasco du pouvoir établi.

Mais on ne peut pas justifier le poids d’une machinerie centralisée et hiérarchique par les succès individuels, qui par définition, doivent plus à la passion personnelle des acteurs qu’à l’efficacité du système. Soit on fait confiance aux maîtres et aux parents, soit à la bureaucratie. Il me semble que les chiffres parlent d’eux mêmes. Et ils n’inspirent pas confiance dans la bureaucratie.

Certains voient dans la multiplication des projets d’écoles hors contrats le reflet d’une dérive communautariste. On peut aussi penser que c’est l’entrée en scène de la société civile qui cherche à sortir le monopole public de son échec dans l’éducation. Le succès de l’école 42 relève de la même prise de conscience : un mouvement de bon sens contre le jacobinisme bureaucratique. Mais faire confiance aux personnes, c’est à dire à des “particuliers”, est difficile dans un pays qui fait religion d’universel et d’obligatoire.

Et pourtant, devant la violence de cette grippe, il a bien fallu faire confiance aux particuliers, aux professeurs comme aux familles pour se débrouiller et inventer quelque chose. En vidant les salles de classe, le Covid a non seulement imposé la classe virtuelle, mais il a aussi remis les familles au cœur du système éducatif, dans les deux cas pour le meilleur ou pour le pire.

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Jean Baptiste Ballif

Self change is World change. Lessons learned from confronting the wisdom of books to my actual experience as a soldier, a father, and a kaizen addict.